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Just a dream...
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25 avril 2008

Pleased to meet you

Je vais mourir. Ce soir. Demain peut-être. Je devrais penser à ceux que j’aime, à mes enfants, à ma femme, Laurence, à mes parents ou encore à mes amis. Ce qu’il en reste. Je devrais regretter le mal que j’ai fait et le bien que j’aurais pu faire. Je devrais pleurer, je devrais crier. Je devrais hurler ce qu’il me reste de forces, en vouloir au monde entier et cracher sur les vivants. Je devrais arracher les draps de ce putain de lit d’hôpital, refaire les murs avec mon plateau-repas et me barrer en courant. Je devrais regretter tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire et chialer toutes mes larmes de gosse un peu trop vieux. Je devrais penser aux voyages que j’aurais pu faire, aux  improbables merveilles de ce monde, à ces pays que je ne verrai jamais, à ces cultures, ces coutumes, ces croyances que je n’ai plus aucune chance de comprendre. Je devrais regretter de ne pas me souvenir de la dernière fois où j’ai dit à ma femme qu’elle était belle et que je l’aimais. Je devrais m’en vouloir de ne pas avoir accompagné Jules et Camille à l’école ce matin, de ne pas avoir embrassé leurs petites mains. Je devrais m’en faire pour eux, être le père inquiet et le mari aimant. Et ce foutu tunnel blanc, il est où? Il est où? Dieu, la lumière blanche, toutes ces conneries, elles sont ? Hey, je vais crever !

Je pense à mon chauffeur. Albert, Jean ou peut-être Charles. A vrai dire, je n’ai même jamais eu la curiosité de lui demander. C’est quand même un comble ! Un comble, oui ! Dix ans que je n’avais pas mis le pied sur une pédale de voiture, dix ans qu’il me conduisait n’importe où, à n’importe quelle heure de la nuit, sans jamais poser une seule question, avec toute la politesse et la discrétion qui faisait de lui le meilleur, toutes catégories confondues. Avait-il une femme ? Aimait-il les lasagnes ? Quelle ligne de métro empruntait-il le plus souvent ? Dix ans de bons et loyaux services pour n’être pas plus qu’un… qu’un employé,  qu’un salaire, qu’un inconnu. Que dire de la jeune Louise ? La réceptionniste. Qu’est-ce qu’il me restera d’elle sinon son charmant petit décolleté et des charges supplémentaires à assumer ? Je pense au vendeur de journaux, avenue Carmin. Je pense à la boulangère à deux rues de la maison. Je pense à…

Alors c’était ça mourir ? S’attarder sur des détails qui n’ont pas d’importance ? Regretter de n’avoir pas prêté attention à ce(ux) qui ne comptai(en)t pas ? S’attendrir sur un sourire auquel on n’a jamais répondu franchement ? Se rendre compte que l’on ignore jusqu’au prénom ceux que l’on a côtoyé des années entières ? Non. Tout ça, c’est juste des conneries pour partir l’esprit tranquille. Un dernier accès de bonne conscience, « au cas où ». Finalement, je ne suis pas si mal, là, étendu bien droit, dans un lit bien fait. Les murs sont froids. Je le deviens moi aussi, doucement, centimètre par centimètre. La température tombe, je me sens… Loin. Presque apaisé. Je vais mourir et je m’en fous. Je n’ai jamais été aussi calme, aussi rassuré. Pas de questions, pas de batailles, pas d’emmerdes. Tout est clair, net et précis et dans le bordel qu’aura été ma vie, je dois dire que je n’en suis pas moins soulagé. Plus de gosses qui braillent, plus d’anniversaires à souhaiter, plus d’embouteillages à 8h, plus de « monsieur casse-couille a appelé ce matin, il vous demande un justificatif de note de frais ». Finis les repas familiaux interminables et soporifiques au possible tous les dimanches et le gigot d’agneau de la belle-mère. Adieu auto-boulot-dodo, adieu séminaires au bout du monde et décalage horaire. Je suis libéré. Pas libre, non. Je n’ai pas vraiment de choix possibles dans ma situation, là, tout de suite. Je n’aurai plus à choisir, elle est là, la vraie libération. Je n’aurai plus à faire ces choix déchirants, insignifiants, déterminants, terrifiants. Je n’aurai plus à regretter de n’avoir pas choisi la voie royale – médecine - et d’avoir déçu la lignée dont je suis l’illustre et maudit descendant. Choisir sa cravate, choisir sa voiture, choisir sa femme, choisir son plombier, choisir une marque pour le lecteur DVD, choisir la couleur de la tapisserie, choisir le film au cinéma, choisir le restaurant, choisir une place de parking. Choisir un alibi. Eviter de choisir.

Je pense à elle, je pense à mon choix. A ses mains, petites, fines. A ses yeux, grands, noirs. Je pense à son rire, à ses gestes, à ses silences. Je pense à sa peau, à son front, à ses boucles. Je pense à ses faiblesses inavouées et à sa force improbable. Je pense au jour où je l’ai quittée. Je pense au jour où je t’ai fuie, dans un dernier regard dans le rétroviseur. Tu savais que je ne reviendrai pas. Ton monde me faisait peur, tu me faisais peur. Toi et tes projets, toi et tes grands airs. Toi et ta façon d’affronter la vie, sans trucages, sans faux-semblants. Tu étais trop vivante et les hommes sont parfois lâches. Pardonne-moi d’avoir été l’un d’eux. Je pense à toi, Lili. Le reste n’a jamais compté, le reste ne comptera jamais.

Et c'est dans ce dernier souffle silencieux qu'elle passa sa main brûlante sur ses paupières...

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