Quelque chose comme du vague à l'âme, coupé à de la térébenthine
Tu te rappelles? Dis, tu te rappelles toi aussi?
Le collège venait d'ouvrir. On entrait en 5e. Aujourd'hui je donne des cours à un 5e. Tu lui ressembles un peu. Je crois. C'était le premier jour de la rentrée et on nous appelait un par un, classe par classe. Mais c'est R. que j'ai remarqué avant tous les autres. Plus les noms s'égrénaient et plus les chances d'être dans sa classe augmentaient. Rapidement, il ne resta plus qu'une trentaine d'élèves, dont R., mes amies, toi et moi. Lucky girl.
L'année passa. C'était une belle année. On écrivait des mots dans nos agendas respectifs ; on rentrait à pieds du collège par le bois plein de gitans et on courait comme des malades ; on organisait nos premières boums, et nos premiers slows. Les quarts d'heure américains, tu te souviens? J'étais dingue de R. J'avais 12 ans, toi 11. On s'écrivait des petits mots sur des feuilles cartonnées. Je les ai toujours. Tu as fait l'entremetteur et j'ai vécu de jolis moments avec R., un peu grâce à toi. A l'époque, vous aviez tous cette petite mèche en haut du front, et du gel dans les cheveux, pour faire tenir le tout. Fallait pas y toucher, ça ! T. était amoureuse de toi. C'était une passion de mômes qui se prennent au sérieux, une passion pré-adolescente infidèle à suspense. Tu me racontais tout ; je faisais de même. Les meilleurs amis du monde. "Best Friends forever". Un truc du genre. Avec le recul, c'est plutôt ... navrant ? Non. Mignon. C'est mignon. Tu m'appelais presque tous les soirs et on passait des heures à commenter ce qui passait à la télévision. On n'avait pas encore internet et encore moins msn, on n'avait pas encore de téléphone portable. Pourtant on n'a jamais autant communiqué qu'à cette époque.
Et puis, il y a eu la 4e. Je n'étais plus avec R. et je ne sais plus comment... c'est avec toi que je me suis retrouvée. J'aimerais me souvenir des détails mais je n'y arrive plus. J'avais peur que T. m'en veuille. Je ne sais plus non plus comment tout cela s'est fini. Chacun sa route. Mais il y avait toujours ce lien là. On est restés les meilleurs amis, encore quelques temps. Et puis en seconde, tu as rencontré A. ; je n'existais plus. Petit à petit, je suis passée "après". C'était votre histoire. Une fusion. Rien l'un sans l'autre. Tout pour vous, plus rien pour les autres.
Il y a eu ce soir là. Que l'on s'est promis de taire.
Et puis, plus rien. J'ai bien essayé de reprendre contact mais tu étais toujours trop occupé. Quelques fois il y a eu le hasard, et ces rencontres pressées. Rappelle-moi. Tu ne rappelleras pas. Ce n'est pas comme si j'espérais encore quelque chose de toi. Je passe plusieurs fois par semaine devant chez toi. Le collégien à qui je donne des cours n'habite pas loin. Et chaque fois je ne peux m'empêcher de me dire que tu vas peut-être ouvrir la porte à ce moment là. Mais tu ne le fais jamais. Tu as toujours pris soin de bien fermer les portes après moi.
Je vais bientôt fêter mes 20 ans. Tu ne seras pas là. Pourtant on s'était dit que... Tu me manques K. et je ne crois plus aux promesses.