Instant choisi (3)
Il est 1h23. J’ai un peu mal au ventre. Je descends dans la cuisine pour trouver quelque chose qui fera vite passer la douleur. Je n’allume pas la lumière. Un verre d’eau à la main, je m’approche de la fenêtre, je me dis qu’il va sûrement geler cette nuit. Faudra gratter le pare-brise. Je m’en réjouis d’avance. Il est quand même vachement blanc le gel ce soir… il est même tellement blanc qu’on dirait… oui… Le sol retient les millions de gros flocons qui tombent au ralenti. Pour qu’on les voit tous. Un par un.
Je me précipite en bas de l’escalier et je t’appelle. Il faut que tu viennes voir ça, vite ! Mais vite ! T’as pas trop l’air de comprendre l’urgence mais tu finis par descendre. Je te prends la main et t’emmène près de la fenêtre de la cuisine. J’ai l’impression d’avoir 3 ans et demi et les yeux enfloconnés. J’ouvre la porte-fenêtre du salon, pour sentir le froid neigeux dans mes jambes. Et tu es là.
Ce petit moment de grâce, de temps arrêté. Il était 1h23 depuis 10 minutes. Et nous regardions la neige tentant de recouvrir chaque centimètre de mon jardin. Le ciel était blanc. J’étais émue. C’est con. Oui. Nous sommes allés nous coucher. La neige tombait sur le velux. Elle ne serait plus là demain matin. Et, en effet, elle n’y fut plus. Comme si elle n’était tombée que pour nous. Comme si cette nuit là, nous étions les seuls à l’avoir démasquée. Comme un vieux souhait qu’on avait oublié, de flocons inattendus, d’amour sincèrement partagé.