Le jeune homme de la bilbliothèque
Je ne m'en remets pas.
Il ne me restait plus qu'une seule page à lire pour arriver au fameux "L'Enfer, c'est les Autres" de Sartre lorsqu'il entra, une pile de livres serrée contre son torse, les cheveux en bataille, les gouttes de pluie ayant trouvé refuge dans ses fossettes de minot. Il avait l'air un peu perdu, éparpillé, embarrassé même. Il s'installa en face de moi, esquissa un sourire hésitant, murmura un bonjour maladroit et déposa ses livres sur la table, soulagé. Il ébouriffa ses cheveux blonds, déroula l'écharpe noire autour de son joli cou et retira sa longue veste marron, se dévoilant un peu plus à mon regard. Il commença immédiatemment sa lecture. Il était de ceux qui ne savent pas leur charme, qui ignorent cette grâce spontanée que d'autres façonnent à coups d'artifices l'Oréal ou Dior. Ses yeux suivaient docilement chaque ligne, découpaient chaque phrase, épluchaient chaque expression. Il levait la tête quand je baissais la mienne. Il lisait Candide. Et ça lui allait si bien... Ses mains fines tournaient lentement les pages et ses longs cils balayaient les mots comme ils balayaient mon coeur. Concentre-toi un peu Cécile !
"Excuse-moi, est-ce que tu sais si Voltaire ne critiquait pas la monarchie absolue ?"
Il me balança sa question. Comme ça. Je répondis. Comme ça. Oui, oui, Voltaire était bien contre la monarchie absolue mais aussi paradoxal que ce soit, il avait admiré l'oeuvre de Louis XIV, ou en tout cas son aspect économique. Oui, c'est un peu étonnant, mais pas tant que ça finalement, tu sais... Il me demanda ce que je lisais. Il n'aimait pas beaucoup Sartre en tant que dramaturge, selon lui, il aurait dû s'en tenir à la philosophie. Et puis il s'excusa, pour le dérangement. S'il savait... s'il savait comme j'avais apprécié ce dérangement, s'il savait... M'aurait-il dérangé davantage ? Peu importe, il était 17h, et je devais filer. Alors que je rassemblais mes affaires, il regardait mes mains, les suivait de ses yeux chocolats. Puis il les leva, doucement, très doucement. Nos regards se croisèrent l'espace d'un instant, juste le temps d'un électrochoc mutuel, comme si j'avais mis mon coeur dans une prise éléctrique.
"A mercredi prochain ?"
J'espère.