Ceux qui partent
Tu fais partie de ces gens qui ne font que passer. Tu es de ceux avec qui l’on partage quelques moments et que l’on oublie malgré nous, que l’on oublie parce que la vie continue et que les liens se défont aussi vite qu’ils se tissent. Aujourd’hui, tu es morte. Tu avais 19 ans. J’ai mis quelques heures à bien comprendre le sens de ces mots. En presque vingt ans la mort ne m’avait jamais approchée d’aussi près. Je n’avais pas encore mesuré tout ce que cela impliquait. La route est meurtrière. Je pense à ta famille. Je pense à tes amis. Je pense à ton petit ami. Je pense à tous ceux qui de près ou de loin t’ont connue, à tous ceux qui, comme moi, ne se souvenait qu’à peine de toi. Tu es morte. Plus jamais il ne m’arrivera de te croiser dans la rue. J’ai du mal à me faire rentrer ça dans la tête. Je ne parviens même pas à me souvenir de la dernière fois où je t’ai vue. Cela fait sûrement quelques années. Peut-être m’avais-tu oublié toi aussi. On oublie si vite.
Il parait que c’est lorsque l’on perd une personne proche que l’on se rend compte de l’importance qu’elle avait pour nous. C’est vrai. Mais nous n’étions pas proches, non. Nous avons juste échangé quelques mots du temps du collège, fait équipe pour des matchs de basket en cours de sport. Pourtant je suis touchée. J’espère juste que tu as été heureuse, que tu as connu cette ataraxie à laquelle on aspire tous, au moins pour quelques minutes. Elles sont si précieuses ces minutes. Si on oublie les visages et les noms, on ne peut les oublier elles.
Aujourd’hui, tu es morte Sandy. Aujourd’hui, je pense à toi. Cela ne sert peut-être à rien. C’est une pensée qui se perdra. Sache juste qu’elle a existé et que j’y ai mis tout ce que je pouvais de bon et de beau.
Je me souviens aussi de toi, Josiane. Je ne devais pas avoir plus de 2 ans. Je nous vois encore arriver chez Jean et toi, entrant dans cet immeuble sans âme et nous entassant dans l’ascenseur le plus glauque de la Terre. Je me souviens de votre appartement, du long couloir sombre dans lequel je faisais quelques pas hésitants. Nous mangions près de la fenêtre avec maman et papa. La table était dans un coin, il y avait une lampe halogène juste à côté mais elle n’était jamais allumée. Je me souviens, tu nous faisais toujours des frites. Il y avait aussi un chat dans votre appartement. Jean l’aimait beaucoup. C’est comme ça que l’on a découvert que j’étais allergique aux chats. Je me souviens de ces détails que mes parents ont oubliés. Je me souviens de ton visage mais je ne saurais le décrire. Je n’ai pas oublié, j’ai grandi. Le temps a filé et le tien s’est arrêté brusquement il y a quelques années déjà. Tu vois, il m’a fallut bien du temps pour le réaliser.
Il y a ceux qui partent. Et ceux qui restent. Pour ceux là, la vie doit continuer et elle continuera. Il n’y a pas d’alternative à la mort. Les départs sont parfois définitifs et justifiés. Parfois.
A tous ces gens qui passent et qui s’en vont sans que l’on s’en aperçoive, à tous ces gens qui meurent sans qu’on le sache, sans qu’on le conçoive seulement, à tous ces gens à qui l’ont dit des « à bientôt » sans vraiment les penser. A tous ces gens auxquels on aurait dû dire adieu.